ARTICLE III. De la Création des corps organisés.
ARTICLE III. De la Création des corps organisés.
Jusqu'alors la terre, l'air et l'eau étoient des empires stériles ; aucun
animal, aucune fleur n'avaient orné le monde. La nature, occupée de la
génération des corps primitifs, n'avoit pû produire que des matières brutes. Il
lui falloit une force de vie surabondante pour créer les corps organisés ; elle
avoit besoin auparavant de prendre toute sa vigueur, d'arriver à une sorte de
puberté ; car de même que l'homme n'engendre qu'après avoir reçu le
développement de ses forces, de même le monde ne dut rien produire avant d'avoir
pris le complément de ses facultés. Les forces vitales de l'enfant étant
occupées entièrement à faire croître et perfectionner son corps, elles ne
peuvent pas être surabondantes pour engendrer de nouveaux êtres ; le globe
terrestre était de même dans sa jeunesse. Il ne peut donc rien créer à sa
surface avant que d'avoir mûri et perfectionné toutes ses parties, car les
matières primitives de la terre, ses montagnes granitiques, ses terreins
quartzeux, ses grandes profondeurs, n'offrent aucun débris de corps organisés,
et ont dû être formés long-temps avant eux. Les masses brutes étant d'ailleurs
plus simples que les végétaux et les animaux, elles ont été les premières
créées, parce que la nature marche toujours du simple au composé (1).
De même que dans notre enfance, nos forces vitales sont d'abord concentrées dans
nos organes intérieurs pour les perfectionner, et ne s'épanouissent dans les
organes extérieurs qu'à l'époque de notre puberté ; ainsi la puissance
vivifiante de notre terre était rassemblée premièrement dans son intérieur, pour
y sécréter et engendrer toutes les substances minérales ; elle s'est mise
ensuite en expansion à la superficie du globe. Nous voyons cette même
concentration et cette dilatation de la vie dans tous les corps animés ; car
l'arbre, la plante, l'insecte, le reptile engourdis par le froid de l'hiver,
ramassent en eux-mêmes toute leur vie et paroissent morts au-dehors, mais la
chaleur rappelant leurs forces dans les organes extérieurs, rend tous ces êtres
à la plénitude de leur existence.
(1) Quoique j'aie toujours eu soin de séparer ce qui appartient à la puissance
divine, de la substance matérielle et que je les aie considérées comme deux
êtres à part et très-différens, bien qu'ils agissent en commun, on m'a reproché
de tomber dans le systême de Spinosa. Quiconque a lu l'hypothèse de ce juif,
sait qu'il n'admet qu'une seule substance, qu'il confond Dieu et la matière :
son hypothèse a été victorieusement réfutée par Bayle. Il y a donc, dans
l’inculpation qu'on me fait, ou de l'ignorance ou de la mauvaise foi. L'on
accuse souvent une personne de matérialisme, sans se donner la peine de le
prouver ; rien de plus facile pour la perdre dans l'esprit de beaucoup de gens
qui ne lisent pas, et qui croient sur parole.
Selon d'autres, tout ce qu'ils ne retrouvent pas dans les autres ouvrages
d'histoire naturelle, et qu'on expose ici, leur paroît être pur paradoxe,
hypothèse vague, imagination systématique. Cela est bientôt dit ; mais jamais
ils ne donnent les preuves de ce qu'ils avancent. Je sais que beaucoup de
personnes, n'ayant jamais vu la nature que dans des livres, pourront tracter
tout ceci de chimères. Je n'en serai pas surpris. Cela doit être pour quiconque
n'a point médité sur les grandes opérations de cet univers. Accoutumés que les
hommes sont, pour la plupart, aux petits événemens de la vie, ne sortant jamais
d'une sphère bornée, leur foible vue n'apperçoit rien au-delà. Au moins, il
seroit très-avantageux pour la science, qu'on s'occupât un peu moins de ces
minuties, et qu'on tournât ses regards sur de plus dignes objets de méditation.
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